Lorsqu'un élu ou un chef d'entreprise rencontre un écolo, il l'écoute, le questionne un peu, puis au bout d'un moment le sempiternel refrain tombe: "Ce que vous dîtes est très intéressant, je comprends, je suis de tout coeur avec vous. Mais il faut être pragmatique, ce que vous dîtes n'est pas possible, soyez réaliste !" La discussion est close !
La vision du pragmatique
Les militants écolos interpellent régulièrement les dirigeants de tous poils. Explications sur les pollutions, sur le gaspillage, sur les ressources limitées,... L'homme pragmatique auto-désignée sera toujours d'accord avec les constats des écolos. D'accord, mais il réplique alors inexorablement qu'il ne peut pas suivre les recommandations des écolos car il est pragmatique, lui ! Car lui sait ce qu'il est possible de faire et ce qu'il est impossible. Il avancera alors ses arguments "réalistes" pour expliquer à l'écolo en quoi il est pragmatique: ses arguments pour soit ne rien faire, soit laisser détériorer l'environnement. Ses arguments "réalistes" tournent majoritairement autour de l'emploi ou de la compétitivité, les deux étant liés sous l'autel de la "croissance". Le pragmatique avance interminablement ses arguments économiques pré-mâchés comme une vérité absolue.
Une question de champs de vision
Prenons un exemple: nos appareils électriques et électroniques tombent en panne juste après leur fin de garantie, soit 2 ans environ. L'écolo explique que racheter régulièrement ces appareils c'est soutenir l'extraction minière, le transport des marchandises, puis l'amoncellement des déchets. Pour diminuer cela, une solution consiste à rendre les appareils robustes et réparables par une loi portant la garantie à 10 ans. Le pragmatique, réplique que si on baisse la consommation, c'est la croissance qui baisse, des vendeurs au chômage, des multinationales qui licencient. L'argumentaire serait imparable. Ce réaliste ne réalise donc pas que les dégâts miniers créent une instabilité politique dans de nombreux pays, source de conflits armés et donc d'exodes de populations vers nos pays "modernes" qu'il nous faudra s'occuper. Ce réaliste ne réalise pas que les appareils font le tour du monde avant d'arriver chez nous avec son lot de consommation de pétrole et d'émissions de CO2. Le réaliste sait-il que les quantités de pétrole sont limitées sur terre ? Le réaliste a t il connaissance du réchauffement climatique et de ses effets ? Des appareils "durables", ce sont des appareils réparables d'où la création d'emplois dans ce domaine, soit moins de vendeurs et plus de réparateurs. Le réaliste sait-il qu'un bon déchet est un déchet qui n'existe pas? Franchement, qui a les pieds sur terre ?
Un autre exemple bien connu concerne le nucléaire.
"Nos centrales nucléaires, c'est notre indépendance énergétique. Avec près de 80% d'électricité d'origine nucléaire, on ne peut pas s'en passer, soyez pragmatique !" Bref, que l'on importe l'uranium (donc dépendance de la matière première), que ça puisse nous péter à la figure à chaque instant (avec ses km2 de terres perdues et des populations déplacées), que l'on ne sait absolument pas comment gérer les déchets (sauf à les cacher sous le tapis, ou plutôt sous terre) ni démanteler une centrale, ça le pragmatique n'en a rien à faire. Que l'on gaspille environ 30% de notre électricité, que l'on peut réduire notre consommation d'environ 30% avec des appareils moins énergivores, complété avec un peu plus d'énergies renouvelables pour se passer du nucléaire, cela n'est pas pragmatique pour la pragmatique.
Le domaine agricole n'échappe pas au "réalisme"
En France, l'équivalent d'un département est artificialisé tous les 7 ans, c'est à dire qu'il disparait sous le bitume à cause de l'urbanisation galopante. "Mais mon bon monsieur, il faut être réaliste, nous avons besoin de logements, de routes, de grandes surfaces avec leurs parking. Ouvrez les yeux, soyez pragmatique". Qui dit destruction de terres, dit terres agricoles. Ainsi notre surface agricole disparait, détruite pour des décennies. Alors, est-ce réaliste d'importer de la nourriture de plus en plus loin avec la pénurie de pétrole à venir qui rendra les importations par camions ou avion très couteuses. Est-ce réaliste de laisser faire cette destruction alors que des pays ont déjà commencé à acheter des terres agricoles par centaines de milliers d'hectares pour nourrir leur population ? Est-ce réaliste d'avoir moins de surface à cultiver alors qu'il y a de plus en plus de bouches à nourrir ? Le pragmatique rétorque alors que les solutions existent dans les biotechnologies, les OGM et autres engrais. Des solutions dépendantes du pétrole, ne faut-il pas l'oublier...
Quel est le problème du pragmatique auto-désigné?
"Allons, soyons pragmatique !" Lors d'une conversation, le premier qui s'auto-proclame "pragmatique", c'est celui qui a raison, comme dans les cours d'école (c'est celui qui le dit qui y est). La pensée dominante, la pensée apprise à l'école ou l'expérience personnelle font qu'il n'est semble t il pas possible de faire autrement. Le pragmatique auto-proclamé n'aurait il pas tout simplement la trouille du changement ? La peur de penser et d'agir autrement ? Le refus d'enlever ses oeillères ? A noter qu'il existe des exceptions, mais ces personnes sont trop rares. En quelques décennies les écolos ont perdu leur côté doux rêveur, une particularité dérobée par les "pragmatiques"...
"il ne savait pas que c'était impossible, alors il l'a fait" (Mark Twain)
Une grande partie de ce texte a été publié dans Le Miroir Magazine n°4 de juin 2014.
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