28 faucheurs volontaires, dont 4 dijonnais, étaient jugés le 7 juin à Rodez, en Aveyron. De plus, 28 se sont déclarés "comparants volontaires" dont 2 dijonnais, ce qui a été accepté par le juge. Les militants ont profité de l’audience pour rappeler leur combat contre les OGM et les pesticides. Délibéré rendu fin juin.
Communiqué :
Rodez (Aveyron), reportage
Une juge à l’écoute, un procureur qui accepte que la salle d’audience « soit à la fois tribunal
et tribune » et la liberté donnée à la totalité des prévenus de prendre, même brièvement, la
parole. Les procès des Faucheurs volontaires d’OGM sont toujours hors norme, mais celui
d’hier à Rodez, au nord-est de Toulouse, l’a été encore davantage. Ont défilé à la barre
couvreur, charpentier, allocataires de minima sociaux, retraités armés de canne ou de
béquilles, venus d’Aveyron, d’Ariège, de l’Hérault ou plus loin, de Bretagne ou de
Bourgogne. Des personnalités qui n’étaient pas sans rappeler les réjouissants héros de la
bande dessinée Les Vieux Fourneaux et qui ont profité de l’audience pour rappeler leur
combat contre les organismes génétiquement modifiés et contre les pesticides.
Les faits incriminés remontent au 10 novembre 2021. Ce jour-là, une soixantaine de militants
ont pénétré illégalement sur le site industriel de l’entreprise RAGT Semences, à Calmont, près
de Rodez. Leur cible : des graines de variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH), du
colza ou du tournesol type Clearfield, breveté par BASF. Menant ce qu’ils appellent une « inspection citoyenne », les faucheurs ont alors sillonné l’usine et éventré une quinzaine de
grands sacs de semences Clearfield, avant de repartir. L’auteur de ces lignes a d’ailleurs été
inculpé, puis relaxé, pour avoir couvert cette action comme Reporterre vous le raconte ici.
Vingt-huit faucheurs volontaires étaient poursuivis pour « soustraction frauduleuse et
dégradation volontaire en réunion ». L’avocate du groupe semencier n’a réclamé que 6 600
euros de préjudice, et le procureur requis deux mois de prison avec sursis pour l’ensemble des
prévenus. L’avocat des Faucheurs, lui, a demandé la relaxe générale car l’action relève pour
lui de « l’état de nécessité » mais aussi de la « liberté d’expression ». La justice décidera de
leur sort le 28 juin prochain.
Premier enjeu de l’audience : faire reconnaître le principe des « comparants volontaires ».
Soit des militants bel et bien présents durant l’action mais qui n’ont pas été inculpés. Ainsi,
vingt-huit autres Faucheurs ont demandé à être, eux aussi, jugés afin d’insister sur le caractère
collectif de leur lutte. Surprise : cela a été accepté, y compris par le procureur. Une victoire
politique qui a permis de faire du procès un lieu de débat et de témoignage.
Tour à tour, la cinquantaine de prévenus présents ont pu rappeler en quelques minutes le motif
de leur engagement : « je fais ça pour mes petits enfants » ; « je m’inquiète beaucoup pour le
sort de notre planète ». S’ils sont ainsi intervenus à la RAGT, c’est « pour se substituer aux
services de l’État qui ne font pas leur boulot ». Les semences visées, les VrTH, avaient en
effet été reconnues comme relevant de la législation sur les OGM par le Conseil d’État en
février 2020. Une décision que le ministère de l’Agriculture a constamment refusé
d’appliquer. Après un jugement alambiqué de la Cour de justice de l’Union européenne en
février 2023, le Conseil d’État doit à nouveau se prononcer prochainement sur les modalités
d’application de cette réglementation.
« Les paysans sont les premières victimes des pesticides »
« Au moment des faits, au moins l’une des variétés mises en cause par les faucheurs ne
figurait pas au catalogue des semences et ne pouvait donc pas être commercialisée », a
insisté Me Tumerelle, l’un des deux avocats des faucheurs. L’entreprise « respecte toutes les
réglementations en matière d’OGM et de semences », précise à Reporterre Olivier Lucas à la
suspension de séance. Directeur valorisation chez RAGT Semences, il ajoute que l’entreprise
a subi trente actions des Faucheurs et n’a jamais été condamnée. Il faut « que ces agissements
cessent » et que soit enfin « reconnue l’illégalité des actes d’intrusion illégale et dégradation
sur une propriété privée ».
Mais, face aux questions de la juge — « Qu’avez-vous à dire sur les faits ? » — les
Faucheurs ont préféré répondre sans vergogne : « Moi, je voudrais plutôt parler de mes
convictions. » Dans leurs prises de parole, le solennel « nous sommes l’armée du vivant » se
joint parfois au burlesque « excusez-moi, on m’a volé mon dentier » en passant par les
questions philosophiques telles que « peut-on voler quelqu’un qui distribue lui-même des produits interdits ? ». Les rares personnes à ne pas avoir un casier vierge ont surtout été
condamnées pour d’autres actions anti-OGM. Inculpé en 2001 pour avoir fauché un champ de
Monsanto, Michel répond ainsi que « ça a fait avancer la cause ». Sébastien, ancien porte-
parole de la Confédération paysanne en Aveyron, rappelle avec gravité que « les premières
victimes des pesticides, ce sont les paysans eux-mêmes. Et on en connaît autour de nous qui
en sont mort ».
Un discours auquel la juge est restée attentive, tout comme elle a été à l’écoute des experts en santé pédiatrique et pollution des milieux aquatiques convoqués par les Faucheurs. Chose rare : même le procureur a admis qu’il est « dans l’intérêt de la société que chacun puisse s’exprimer ». Pour lui, le problème, c’est le « passage à l’acte contreproductif » des Faucheurs « qui génère de l’injustice chez les victimes ».
Un discours auquel la juge est restée attentive, tout comme elle a été à l’écoute des experts en santé pédiatrique et pollution des milieux aquatiques convoqués par les Faucheurs. Chose rare : même le procureur a admis qu’il est « dans l’intérêt de la société que chacun puisse s’exprimer ». Pour lui, le problème, c’est le « passage à l’acte contreproductif » des Faucheurs « qui génère de l’injustice chez les victimes ».
Big bag et micropréjudices
Difficile pour l’avocate de la RAGT, Me Monestier, de faire entendre l’ampleur du préjudice
pour l’entreprise. Surtout quand sa défense s’est centrée sur l’importance de l’entreprise et
son rôle économique en Aveyron, évoquant le souvenir de la « fierté pour les Aveyronnais
quand la RAGT était sponsor d’une équipe cycliste sur le tour de France ». Un discours
d’autant plus décalé que les Faucheurs aussi ont cette fierté locale d’avoir vu leur mouvement
naître en 2003 sur le Larzac. Et lorsque l’avocate de la RAGT assure « nous ne sommes pas
là pour faire un débat sur les OGM », les prévenus ne peuvent réprimer un rire et un « ben si ! » collectif, seul moment de chahut immédiatement stoppé par la juge.
Évalué au départ à 200 000 euros le soir de l’action des Faucheurs, le préjudice financier pour
la RAGT se révèle bien moindre, tout au plus 10 000 euros selon l’entreprise. Les 6 600 euros de préjudice requis, fondés sur un chiffrage réalisé en interne par la RAGT « correspondent
aux heures de travail qu’il a fallu pour nettoyer et retrier les graines qui ont été répandues
sur le sol ». Il a aussi fallu « créer une cellule de soutien psychologique après cette action ».
L’avocate assure d’ailleurs que les sommes reversées à l’entreprise en cas de condamnation
iront aux salariés via le comité d’entreprise.
Si les Faucheurs ont tous contesté l’accusation de vol, « nous n’avons rien volé, tout au plus
déplacé deux sacs pour les montrer aux journalistes », la plupart reconnaissent avoir « ouvert
et répandu des sacs sur le sol mais leur contenu n’a pas été détruit ». La majeure partie du
contenu des sacs visés a pu être récupérée et commercialisée ensuite. Le préjudice se
concentre donc sur les big bags eux-mêmes, dont le prix est évalué une douzaine d’euros
pièce selon les avocats de faucheurs Me Tumerelle et Me Gallon. Une perte considérée par la
défense comme « minime » pour la RAGT, « éminente représentante de l’agro-industrie en
France, qui accapare les semences », selon Me Tumerelle. Et son collègue Me Gallon de
rappeler que derrière cette action des Faucheurs l’enjeu plus global est celui « de la liberté
d’entreprendre et du droit de propriété qui s’oppose au droit à vivre dans un environnement
sain ».
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